La décennie 1990 est décisive pour comprendre le tournant grand public du numérique en France. Un premier tournant, aujourd’hui bien documenté, est opéré dans les années 1980 avec le Minitel. Un second virage réside dans les premiers développements du Web en France. Il est quant à lui un point encore largement aveugle de l’historiographie, que ce soit l’histoire des premiers FAI, la naissance des sites professionnels, administratifs, des pages personnelles, des services de e-commerce ou l’apparition d’une offre et d’un marché grand public. Au même moment émergent les débats autour du rôle, des possibilités, mais aussi des menaces que le Web incarne. A quel rythme se fait la conversion à Internet dans le monde professionnel et dans le grand public ? Comment cartographier le Web des années 1990 ? Sur quels acteurs l’adoption et la généralisation de l’Internet et du Web se sont-elles appuyées en France ? Comment est né le marché de l’accès et de la consultation au travers des fournisseurs de services ou de l’attribution des noms de domaine ? Sous quelle forme la co-construction souvent mise en avant de l’Internet et du Web par l’offre et les usages s’est-elle manifestée et quelle place y a occupé la puissance publique ? Que représente côté utilisateur la navigation dans la Toile durant la décennie 1990 ? Ces questions n’ont pas encore été étudiées par les historiens. Elles répondent pourtant à plusieurs enjeux fondamentaux sur le plan théorique, méthodologique, épistémologique et patrimonial :
– Mesurer le caractère disruptif de la technologie sur le plan économique, sur celui des imaginaires, valeurs, usages de la communication
– Dépasser une histoire technique internaliste ou au contraire focalisée sur les contenus pour tendre vers une histoire à la fois sociale, économique, politique et technique
– Exploiter des archives du Web à la fois pléthoriques et lacunaires, qui ne peuvent être abordées comme des sources statiques et figées
– Restituer une expérience collective et des expériences individuelles de découverte et d’usage du numérique
Outre la recherche historique qui permettra de préserver des sources tant orales qu’écrites et d’apporter des avancées significatives dans l’histoire de l’Internet et du Web, le projet WEB90 (ANR-14-CE29-0012-01), soutenu par l’Agence Nationale de la Recherche, à travers notamment la réalisation d’une exposition virtuelle, permettra d’explorer les enjeux épistémologiques, méthodologiques et théoriques que posent les usages des archives du Web (droits, interactivité, représentativité des sites, etc). Sa mise en œuvre est répartie en 3 tâches scientifiques (auxquelles s’ajoutent des actions de valorisation et coordination).
La première a pour objectif de contextualiser l’Internet et le Web français tant sur le plan des équipements, des tarifs ou de l’offre de contenus (approche notamment quantitative) que sur le plan politique (régulation, débats publics, etc.), technique (évolution des débits, du code, etc.), en les confrontant notamment à la situation des Etats-Unis, leader technique et dans la pénétration des pratiques.
La seconde, « L’expérience du Web » plonge au cœur des pratiques, en étudiant le Web des professionnels (offre de services, usages en entreprises), la question des identités numériques (profils des utilisateurs, noms de domaine, anonymat, etc.), ou encore la navigation dans la Toile des années 90.
La tâche 3, «Les enjeux du patrimoine nativement numérique et des archives du Web », est dédiée au patrimoine numérique et à ses enjeux, ainsi qu’à la mise en exposition du Web des années 90, qui implique de rendre compte d’un Web social, pratiqué et approprié au travers de multiples initiatives, acteurs et expériences, et de penser à la fois le foisonnement, la singularité des parcours et pratiques et leur mise en synthèse. De nombreux points sont à explorer concernant les usages des archives du Web qui tiennent d’une part à l’hétérogénéité des initiatives, acteurs, formats de conservation, mais aussi à la variété des exploitations. En outre, la conservation, mais aussi l’exploitation des données issues des pratiques et outils numériques (bases de données, archives Web, machinimas, logiciels…), impliquent une réflexion sur la manière dont ce patrimoine numérique peut modifier les recherches en cours et en susciter de nouvelles, et sur son statut juridique.
Pour mener à bien ces tâches aux enjeux pluridisciplinaires, ce projet ANR Jeune Chercheur s’appuie sur une équipe qui mêle des compétences en histoire, en SIC, notamment en sémiologie, en informatique et en droit.
Crédit : Simon Gee Giraudot (Creative Commons By-Sa) http://www.framablog.org/index.php/post/2014/03/14/Geektionnerd-Le-Web-a-25-ans
In France, the Nineties have been a particularly important decade for digital networking’s and computing’s « turn to the general public ». A first shift, well-documented today, happens in the Eighties with Minitel, while a second turn is determined by the first developments of the World Wide Web. As of yet, the latter is still a largely uncharted subfield of historiography, from the history of the first ISPs to the birth of professional, administrative or personal websites, e-commerce services, or the rise of a consumer market. A number of debates addressing the roles, the possibilities, the threats embodied by the Web, arise simultaneously. What is the pace of the ‘Internet conversion’ in the professional world and the general public? How can we map the Web of the Nineties? Who were the key actors of the adoption and the massification of the Web in France? What were the modalities of birth for the market of access and consultation via Internet service providers or domain name attribution? What was the development of the oft-cited ‘co-construction’ by market and users of the Internet and the Web, and what was the role of public regulators in it ? What did Web browsing mean for Internet users of the Nineties? These questions have still not been explored by historians, while they address several important issues at the theoretical, methodological and epistemological levels, and they have implications for digital heritage. Further research is thus needed to:
– measure the disruptive quality of Web technology vis-à-vis the market, developers’ and users’ imaginaires, values, uses and communication
– overcome an exclusively technical history, and conversely, a content-focused one, to aim at a history that is social, economic, political and technical
– take advantage of a pool of Web archives that are both bloated and incomplete, and cannot be apprehended as static, immobile sources
– account for both the ‘digital collective experience’ and for the individual experiences of discovery and use of digital devices.
Beyond the historical investigation, which will allow to preserve both oral and written sources, and lead to significant advances in Internet and Web history, this project also aims at exploring the epistemological, methodological and theoretical issues raised by the appropriation of Web archives: rights, interactivity, representativeness of Web sites, etc.. The operational progress of the project is laid out in three scientific tasks.
The first seeks to “contextualize the ‘French’ Web” at the market level (equipment, tariffs, content offers); at the political level (regulation, public debates); at the technical level (e.g. evolutions in bandwidth, interfaces, code). The French case will be compared, in particular, with the United States, not only a technical leader, but a pioneer in the evolution of user practices.
The second task, “Web as experience”, brings user practices to the foreground, by studying for example the Web of professionals (service offers, uses in private sector settings), state services, the issue of digital identities (user profiles, domain names, anonymity), and the act of Web browsing. This task needs to account for a Web that is social, ‘practiced’ and captured by multiple initiatives, actors and experiences.
Task 3, “The born-digital heritage and Web archives issues”, is dedicated to digital heritage and its key issues such as reuse, emulation, links between materials, software, scholarly uses…
The fourth and fifth tasks (coordination/valorisation) are linked to the previous ones, while reaching out to different associations, Internet protagonists and professionals, academia and the general public by means of independent tasks (e.g. virtual exhibition).
To implement this ensemble of interdisciplinary tasks, this Young Researcher project builds on a team of specialists in various fields, including history, sociology, information and communication sciences, semiology, computer science and law.
ISSN 2497-0476 (en ligne)